FNA 1483 - La croisade des assassins by Barbet Pierre

Auteur:Barbet, Pierre [Barbet, Pierre]
La langue: fra
Format: epub
Tags: T13
ISBN: 2265033669
Éditeur: Fleuve Noir Anticipation
Publié: 1985-12-31T23:00:00+00:00

CHAPITRE VI

— Morguienne ! jurait Jehan en emplissant une outre de vin. Notre vieux renard de Bohémond les a bien leurrés…

— Tu parles ! renchérit son compère Harold surveillant son four de campagne. Faut dire qu’il avait point eu de veine. Quand les deux Robert ont radiné avec leurs chevaliers, personne n’les attendait…

— Sûr : tout le monde pensait qu’y embarqueraient avec les Pisans, remarqua Joël. Probable qu’y ont demandé un prix de passage trop élevé.

— C’était quand même un coup d’maître d’aller tout penaud en pèlerinage à Jérusalem, pis de r’venir une fois les Français d’l’aut’côté du Bosphore ! gloussa le premier.

— Ouais, et maint’nant les Byzantins peuvent plus compter sur des renforts : Godefroy n’a pas assez de troupes à Jérusalem pour en distraire, nota le panetier en remuant la braise avec son rouable.

— Et pis, il a proprement piégé celui qu’y peut pas blairer : Raymond de Toulouse qui soutient les Byzantins, fit l’échanson rigolard.

— Tout de même, nota mélancoliquement le fauconnier, resté muet jusque-là, tout de même, quelle pitié de voir des chrétiens s’affronter en Terre Sainte pour de sordides questions d’intérêt !

Le panetier sortit un pain doré à souhait avec sa pelle de bois et répliqua :

— Rin d’bin étonnant ! Cheux nous c’est-y point pareil ? Comtes, ducs et princes se disputent le terroir comme des chiens un os… Alors, ici y a point d’raison qu’ça change !

— Cuit et doré à souhait ! approuva le mire en croquant un morceau de pain. Tu n’as pas perdu la main, Harold ! (Et il ajouta :) Mes amis, vous avez raison d’être inquiets, j’ai entendu des rumeurs troublantes. Notre sire a de vastes ambitions… Si démesurées que je crains bien qu’après Lattaquié, une fois débarrassé de Raymond de Toulouse, il ne s’en prenne point à Margat, ni au comté de Tripoli, au contraire il reprendra la route de Nicée…

— Quoi ? Il s’attaquerait au vieux Comnène ? s’exclama Joël d’une voix étranglée.

— Souviens-toi de mes paroles…

— Deux besants d’or que tu te trompes !

— Tenu…

— Oh ! moi, soupira Harold en tirant sa dernière miche, je m’en fiche bein ! Tout c’que j’demande, c’est d’dégoter des filles arméniennes ou byzantines. V’là t’y pas qu’le légat y prétend faire couper les couilles et le nez à tous les gars qui forniqueraient avec une Arabe ! Là, j’m’insurge… Alors, si on va du côté d’Constantinople, y aura pus d’problèmes.

De son côté, le Pollucien jubilait aussi, pour une toute autre raison : Bohémond allait effectuer sa première entorse grave à l’Histoire : un retour vers Constantinople démontrerait qu’il tenait une piste… Pour cela, un allié lui était nécessaire. Lequel ?

Il ne fallait point être grand clerc pour le deviner : Hassan ibn Sabbah se ferait un plaisir de l’aider, à condition d’avoir les coudées franches dans le sultanat de Roum, actuellement aux mains des Turcs, ses farouches adversaires qui le traitaient d’hérétique, lui, l’envoyé de Mahomet !

Décidé d’en avoir le cœur net, Hélie interrogea Bohémond un soir, alors qu’ils effectuaient une ronde autour des remparts en compagnie de quelques chevaliers.

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